La fin de l'autonomie des paysans du tiers monde

Publié le par révolte

Je vous retranscris un passage de l'excellent bouquin "Manifeste pour la terre et l'humanisme" de Pierre Rabhi que je suis en train de lire en ce moment.


LA FIN DE L'AUTONOMIE DES PAYSANS DU TIERS-MONDE ET DES ORGANISATIONS TRADITIONNELLES : L'ENGAGEMENT D'UN PROCESSUS D'ALIENATION IRREVERSIBLE

Café, cacao, coton, arachides, canne à sucre, manioc, soja....La liste est longue des produits agricoles fournis par les paysannes et paysans du tiers monde pour alimenter les marchés internationaux. La fameuse mondialisation n'est pas d'aujourd'hui. Avant elle, ces paysannes et paysans constituaient des communautés et des ethnies organisées pour survivre des ressources de leurs divers territoires et d'une agriculture destinée quasi exclusivement à satisfaire leurs besoins alimentaires directs. Attachés à leur glèbe nourricière, parfois chiche, parfois prodigue, bon an mal an, ces communautés ont pu traverser les siècles grâce à leur capacité à valoriser les biens de leur terre. Cette autonomie alimentaire constituait le fondement indispensable à toute structure sociale, et toutes les communautés répondaient d'une façon autonome à toutes leurs nécessités vitales, nourriture, vêtements, abri, soins...A ces besoins matériels s'ajoutaient les valeurs immatérielles, le monde des cosmogonies, des croyances, coutumes et rituels, l'expression artistique... Avant l'ère industrielle, ce mode d'existence était, à quelque chose près, également celui des populations européennes. L'Europe de l'Est recèle encore des structures inspirées et déterminées par les conditions naturelles élémentaires, mais on peut pronostiquer sans risque d'erreur que les critères que leur appliquera l'Europe agricole ne les épargneront pas plus qu'elle n'a épargné les paysans de l'Europe prospère, aujourd'hui réduits à 3 ou 4% de la population, avec l'objectif d'une diminution encore plus drastique, digne d'une atteinte aux droits de l'homme.

AU SUD COMME AU NORD, LES MEMES IMPASSES

La paysannerie du Sud passe donc par les mêmes impasses que celles du Nord, mais sans subventions ni compensations autres qu'une misère aggravée. Avec des conditions spécifiques, c'est la même idéologie du productivisme et de la croissance indéfinie qui ravage les populations paysannes sur toute la planète. Le scénario reste le même, les paysans fonctionnant sur les bases de leurs savoir et savoir-faire traditionnels sont considérés comme des attardés. L'image que leur renvoie d'eux-mêmes la modernité bouleverse leurs structures mentales , en fait des êtres surannés. Ils vivent dans une oralité qui accroît leur marginalité. L'histoire se fait sans eux. Elle est l'affaire des 20 % d'êtres humains concernés par les grandes mutations tecnico-scientifico-marchandes qui dominent le monde. Pourtant, cette paysannerie représente une énergie productive que les nations, jeunes ou anciennes, ont intérêt à mobiliser pour leurs économies. L'argent, rare dans les économies vernaculaires, s'y infiltre insidieusement pour devenir peu à peu une référence économique ayant pour parité des biens échangeables. 
Le sort en est jeté : PIB et PNB obligent, les paysans sont mobilisés à produire des denrées exportables pour obtenir des devises destinées à la caisse des Etats et à l'économie nationale. Pour obtenir les rendements, il faut appliquer les dispendieuses méthodes de production moderne et, pour la première fois, les paysans font la connaissance de la trilogie des intrants occidentaux : engrais chimiques, pesticides de synthèse, semences sélectionnées. La mécanisation reste limitée et c'est avec sa force physique, celle des femmes et des enfants, ou des animaux de trait que le cultivateur doit produire.
Une stratégie efficace est mise en place, des vulgarisateurs spécialement formés enseignent aux paysans les méthodes "rationelles" de travail moderne, semis en ligne, usage des engrais... Après un essai gratuit sur ses parcelles pour le convaincre de l'efficacité de la "poudre des Blancs", des coopératives ou autres structures s'organisent pour fournir au paysan désargenté les intrants, très souvent sous forme d'avances sur recettes. A charge pour lui d'acheminer la récolte vers la coopérative qui se chargera du regroupement, de l'exportation, de la commercialisation des produits; la vente nécessitant des délais que le paysan doit accepter avant de percevoir son dû, amputé du prix des intrants. Ce terme des échanges est d'emblée défavorable au paysan. Les intrants industriels sont indexés sur la valeur du baril de pétrol et sa parité : le dollar connaît des variations relativement faibles, mais le produit agricole, lui, est soumis aux aléas des cours du marché international. Ce marché peut ainsi jouer de la pléthore ou de la pénurie à son gré, et mettre en concurrence les producteurs à l'échelle internationale : du coton produit à la boue est traité commercialement comme celui qu'un gros fermier américain subventionné produit avec son tracteur sur ses immenses champs.
A ce jeu, le paysan finit par contracter des dettes qu'il aura de plus en plus de mal à honorer, jusqu'à l'endettement chronique et l'insolvabilité définitive. Le voilà engagé dans un processus d'aliénation irréversible. Les devises produites par le fruit de son travail n'ont qu'une retombée très limitée sur sa propre condition. Elles servent essentiellement au budget des Etats, à la fonction publique, aux équipements militaires très onéreux... Pour produire plus, le paysan défriche, déboise et contribue sans en être conscient à la désertification de son milieu naturel. Par ailleurs, le temps consacré à la production de rente est à déduire de sa production vivrière directe. Des céréales importées à bas prix d'un pays où le producteur est subventionné, voire sous la règle du dumping, viennent corriger les pénuries. Il arrive également que ce soit la surproduction exceptionnelle de paysans pauvres qui compense les pénuries d'autres paysans pauvres.

UNE CATASTROPHE HUMAINE ET ECOLOGIQUE DU TIERS MONDE AUX ETATS-UNIS 

Avec la concurrence sur le marché international, non seulement les producteurs riches détruisent les pauvres, mais les pauvres se détruisent entre eux. Car on a bien pris soin d'établir des frontières parfois artificielles pour stimuler la compétitivité. Nous voici au coeur de la guerre économique dans laquelle le paysan s'est trouvé enrôlé sans en avoir conscience. Bien sûr, cette histoire ne concerne pas les gros propriétaires terriens du tiers monde ou autres latifundiaires qui ont rejoint la confrérie des samouraïs de la productivité et qui doivent pour beaucoup leurs performances à l'asservissement des petits paysans sans terre, devenus au mieux leurs ouvriers, ou pire des parias dans les cités surpeuplées. Ainsi s'est constituée la caste mondiale des industriels de la terre, souvent favorisée par des dispositions foncières qu'elle peut déterminer à sa convenance, étant également présente dans l'espace des décisions politiques. Même les paysans des Etats-Unis, pays qualifié le plus riche de la planète, ont subi les affres de ce scénario de désolation et nombreux sont ceux qui se suicident pour cause de faillite.

Publié dans Agriculture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Bon dimanche !<br /> *<br /> La fin ?<br /> Ils ont toujours été exploités !<br /> Et maintenant des puissances étrangères achètent leurs terres (avec la complicité de dirigeants corrompus) pour produire une alimentation "spéculative" (Madagascar, etc...)<br /> *<br /> Fraternellement
Répondre